Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

la manufacture de livres - Page 3

  • LAURENT PETITMANGIN : CE QU’IL FAUT DE NUIT. PERE ET FILS.

    Capture d’écran 2020-08-27 à 21.06.47.pngImmuable, la rentrée littéraire demeure toujours aussi impressionnante avec sa cohorte d’ouvrages déferlant sur les étals des librairies, avec des romanciers qui se détachent déjà du lot et sur lesquels on a tout misé afin de s’assurer le succès et s’extraire de la masse de livres qui peineront à trouver une petite place dans les rayonnages ou dans l’espace médiatique. Une nuée de romans qui sortent en même temps et des choix cornéliens pour une espèce de vente à la criée, le monde littéraire entre ainsi en pleine effervescence, en pleine hystérie à laquelle  tout le monde participent, auteurs, lecteurs, éditeurs, libraires et médias qui entament une sorte de sarabande déchaînée devenant assourdissante. On peut tout de même se réjouir de cette frénésie avec des lecteurs qui semblent avoir retrouvé le chemin des librairies pour se réapprovisionner en lecture au grand soulagement de toute la chaîne du livre qui respire enfin un peu. Et puisqu’il faut faire des choix pour amorcer cette rentrée littéraire autant sélectionner une maison d’éditions indépendante comme La Manufacture de Livres qui publie Ce Qu’il Faut De Nuit, un premier roman de Laurent Petitmangin évoquant sur moins de 200 pages la relation d’un père et de ses fils sur fond de désenchantement social, de montée de l’extrémisme et de déceptions diffuses qui laminent les coeurs. 

     

    Il est monteur de câbles à la SNCF et milite toujours au sein de sa section socialiste. Il élève seul ses deux enfant depuis que la Moman est décédée d’un cancer, après une longue agonie de trois ans. Il a encaissé le choc du mieux qu’il a pu. Mais il faut bien admettre que c’est Fus, son fils aîné qui a comblé le manque en s’occupant du Gillou, le cadet. Il observe ses enfants grandir, les rêves qui se dissolvent ou qui se concrétisent. Le football pour Fus ? les études pour Gillou ? Il voit ses deux fils devenir des hommes mais qui restent ses enfants. Une histoire d’amour qui se désagrègent avec les déceptions d’un père qui ne comprend pas. La rancoeur et le silence, un peu de lâcheté. Il voit le drame qui se dessine et les convictions qui s’effritent. Désemparé, il témoigne en parlant surtout d’amour et de ses petits riens qui changent toute une vie.

     

    Dans la brièveté du roman, on est avant tout fasciné par la capacité de Laurent Petitmangin à dresser un état des lieux complet du pays à travers la voix d’un père racontant à la première personne toute l’histoire d’un drame qui prend racine au sein de la cellule familiale qu’il forme avec ses deux fils qu’il doit élever seul. Tout en retenue, tout en pudeur, ce père nous raconte le quotidien d’une vie du côté de la Lorraine en évoquant la maladie de sa femme, le foot bien sûr, mais également la déliquescence du parti Socialiste et la séduction du Front, les écueils pour trouver un emploi dans la région, l’avenir dans les études et les formations, mais surtout l’amour qu’il porte pour ses deux enfants. Parce qu’il y a cette retenue, parce qu’il y a cette pudeur, le texte n’en est que plus poignant et regorge d’une émotion contenue que l’on appréciera jusqu’à l’épilogue bouleversant qui marquera le lecteur. C’est à partir du choix que va faire l’un de se fils que se dessine le drame sur font d’appartenance au Front et de rejet d’un père militant à gauche qui ne pourrait tolérer ce qui lui apparaît comme un affront. Et bien au-delà du conflit qui s’amorce il y a le silence et les petites lâchetés d’un homme qui ne s’épargne pas lorsqu’il évoque son comportement. On apprécie donc cette espèce de retrospective pleine d’honnêteté qui transparaît à chaque étape des circonstances de ce petit rien qui va faire basculer le destin de toute une famille et puis en écho, cette lettre d’un fils s’adressant à son père en lui témoignant tout l’amour qu’il porte en lui.

     

    Sans grandiloquence, sans scène larmoyante, Ce Qu’il Faut De Nuit est un roman qui vous foudroie dans la sobriété de mots simples qui parlent d’amour. Un récit lumineux dans la noirceur d’un fait divers qu'il faut lire impérativement.

     

    Laurent Petitmangin : Ce Qu’il Faut De Nuit. Editions La Manufacture de Livres 2020.

    A lire en écoutant : Le Faquir d’Abu Al Malik. Album : Dante. 2008 Barclay.

  • LUC CHOMARAT : LE DERNIER THRILLER NORVEGIEN. PARODIE NORDIQUE.

    Luc Chomarat, le dernier thriller norvégien, la manufacture de livresMode éditoriale propre aux thrillers, c’est bien souvent au terme de ce type de fictions que vous trouverez quelques remerciements où l’auteur s’ingénie à vous démontrer, avec une subtilité plus ou moins affichée, que son récit s’inscrit bien dans la réalité d’un univers qu’il a su capter au gré de connaissances et de références qu’il puise essentiellement sur internet en intégrant au mot près dans son texte, avec une conscience qui l’honore, quelques extraits de la fiche wikipédia qu’il a consultée. Il s’agit bien d’en rire et de traiter le sujet des dérives du monde de l'édition avec la dérision et l’humour qui s’impose comme l’a fait Luc Chomarat avec Le Dernier Thriller Norvégien, roman à la fois détonnant et subtil, nous entraînant dans le tourbillon d’une intrigue délirante où la fiction et la réalité se télescopent pour devenir des perceptions toutes relatives.

     

    A Copenhague, l’éditeur parisien Delafeuille s’apprête à rencontrer Olaf Grundozwkzson, grand maître du thriller nordique,  afin de le convaincre d’intégrer le catalogue de sa maison d’édition et de négocier les droits de traduction de son dernier roman à succès. Confortablement installé dans un luxueux hôtel de la capitale danoise, Delafeuille prend connaissance du manuscrit de l’auteur pour se rendre compte que la fiction devient réalité et qu’il est devenu la proie de l’Esquimau, machiavélique tueur en série sévissant dans la région en démembrant ses victimes qu’il abandonne dans les forêts des environs. Acculé, l’éditeur n’a pas d’autre choix que de poursuivre la lecture du manuscrit afin de connaître l’identité du meurtrier. Mais l’ouvrage disparaît mystérieusement et Delafeuille comprend que l’aide de Sherlock Holmes, séjournant dans le même hôtel, ne sera pas de trop afin de déjouer cet effroyable imbroglio qui prend une tournure inquiétante.

     

    Bien loin du simple pastiche où il se contenterait de démonter les codes qui régissent le genre du thriller, Luc Chomarat construit une intrigue étonnante en entraînant le lecteur dans la mise en abîme de personnages évoluant au gré de la fiction d’un ouvrage qui rythme désormais leur propre réalité avec l’apparition de Sherlock Holmes dont on ne sait plus s’il s’agit du célèbre héros sorti de l’imagination de Conan Doyle où tout simplement de l’incarnation de la réalité de Delafeuille protagoniste central d’un roman complètement loufoque qui nous interpelle sur notre propre perception de l’imaginaire. A partir de là, le récit s’oriente vers une franche partie de rigolade extrêmement rafraîchissante où les situations les plus ubuesques prennent une tournure délirante au gré de dialogues surréalistes. C’est donc au détour de l’absurdité de scènes parfois cocasses que Luc Chomarat égratigne avec cette plume corrosive qui le caractérise, les arcanes du monde littéraire et les travers du thriller. Et tout y passe que ce soit les poncifs les plus éculés que l’on peut imaginer en lien avec le polar nordique dont le titre du roman vous donne déjà un aperçu puisqu’il n’est nullement question de Norvège ou que ce soit les considérations d’éditeurs plus enclin à parler chiffres que lettres. Ainsi on s’amuse de tout avec une multitude de clins d’œil comme les éditions Mirages ou la rencontre des inspecteurs Bjonborg et Willander tout en accompagnant des personnages déboussolés s’étonnant de passer d’un chapitre à l’autre de manière brutale ou d’une scène à l’autre presque comme par magie pour mieux comprendre les mécanismes de l’ellipse. Il en va de même pour l’environnement et l’atmosphère d’un genre extrêmement convenu, que l’auteur s’amuse à décortiquer avec une sagacité pleine d’humour à l’exemple de cette ville de Copenhague prenant soudainement l’allure d’une ville africaine pour mettre en exergue la multitude de clichés que l’on peut trouver dans ce type de romans ou cette soudaine vulgarité dans les échanges entre Holmes et Delafeuille se retrouvant tout d’un coup dans un récit aux allures de hard-boiled.

     

    Avec la finesse d’un humour au service d’un texte d’une belle intelligence nous permettant d’avoir un regard acéré sur un monde de la littérature qui se prend parfois bien trop au sérieux , Luc Chomarat fait exploser, avec Le Dernier Thriller Norvégien, l’univers extrêmement convenu du thriller nordique pour nous entraîner dans la folie d’une intrigue qui ne manquera pas de vous laisser avec un grand sourire, ceci bien longtemps après avoir refermé cet ouvrage détonant. Salutaire et indispensable.

    Luc Chomarat : Le Dernier Thriller Norvégien. La Manufacture de livres 2019.

    A lire en écoutant : Gravity de Hooverphonic. Album : Reflection. Sony Music Entertainment Belgium.

  • Pierre-François Moreau : White Spirit. Démon blanc.


    Capture d’écran 2019-08-23 à 00.06.59.pngSi l'engouement du polar en Suisse romande a suscité quelques vocations locales dont finalement nous nous serions bien passés pour certaines des plus remarquées d'entre elles, il importe de signaler les rares auteurs de la littérature noire, toutes contrées confondues, dont l'intrigue se déroule au cœur de la Romandie, tant l'événement est rarissime. Avec un cadre pourtant prometteur, sur les contreforts des Alpes vaudoises, on passera sous silence Avalanche Hôtel (Calmann-Lévy noir 2019) de Nicolas Takian, pâle ersatz de Shining (Le livre de poche 2007), qui alimentera la masse de thrillers insignifiants en contribuant ainsi à la cause perdue d'un genre dévoyé, pour s'intéresser à White Spirit, un étrange et surprenant roman noir de Pierre-François Moreau dont l'action nous entraîne sur les bords du lac Léman, entre Montreux et Lausanne.

     

    White Spirit, c'est le combustible avec lequel Gifty, une jeune prostituée nigériane, s'asperge afin de s'immoler sur les bords du lac Léman pour en finir avec cette vie de galère et échapper définitivement à l’emprise de ses proxénètes. Victime d’un réseau de traite d’êtres humains entre Bénin City et Lausanne, la jeune femme est contrainte de se livrer au commerce de son corps afin de s’acquitter d’une dette exorbitante et d’une malédiction qui peut s’abattre à tout moment sur les membres de sa famille. Mais White Spirit c’est peut-être aussi ce qu’incarne Bruce, ce jeune homme déjanté qui vient de sauver Gifty de la douleur des flammes s’apprêtant à la consumer. Scénariste de jeux vidéos fun-gore, figure montante de la Toile, Bruce trimbale son désenchantement d’hôtels de luxe en festivals du numérique, imbibé d’alcool et de drogue. La rencontre détonante de deux univers qui se fracassent pour former un mélange de délires occultes et virtuels donnant ainsi l'occasion à Gifty et Bruce d'affronter leurs chimères respectives dans un déferlement de confrontations chaotiques.

     

    Déroutant, c’est le moins que l’on puisse dire pour qualifier ce roman dont l’intrigue tourne autour d'une rencontre improbable entre deux personnages qui se situent à la marge de cette quiétude envoûtante de la Riviera vaudoise où ils évoluent chacun de leur côté avant que cette confrontation fatidique ne les entraîne dans une spirale d’événements aussi étranges qu’imprévisibles. D’emblée on apprécie cette écriture précise, chirurgicale, permettant d’esquisser en quelques mots l’atmosphère singulière émanant d’un décor opulent où la détresse de Gifty résonne dans le silence d’une aube mal définie tandis que Bruce exsude les miasmes de ses délires numériques dont il ne garde que quelques fragments épars. S'agit-il d'un songe ou des phantasmes respectifs de deux êtres égarés ? La question reste ouverte car Pierre-François Moreau parvient, avec maestria, à nous égarer dans cette conjonction de deux microcosmes dans lesquels ses personnages se retrouvent enfermés. Pour Gifty, traquée par ses souteneurs, ce sont les esprits, les fétiches et l’envoûtement des jujus tandis que Bruce doit faire face aux autorités numériques pour avoir endossé le rôle d’un lanceur d’alerte bidon afin de rebooster sa carrière de concepteur de jeux vidéos. Dangereux maquereaux, policiers fédéraux indolents et mystérieux mécène richissime, sur fond de règlements de compte sordides et de discussions déjantées, les rencontres s’enchaînent tandis que les univers s’entremêlent au détour d’une succession d’événements qui prennent parfois une tournure surprenante.

     

    Il faut dire que sur une alternance d'instants calmes, aux entournures poétiques, presque romanesques, et d'actions frénétiques et explosives, Pierre-François Moreau se garde bien d'entraîner le lecteur vers des schémas convenus. Ainsi l'ébauche d'une histoire d'amour entre Gifty et Bruce demeure incertaine, tandis que la confrontation avec la clique de souteneurs africains ne débouchera pas forcément sur le bain de sang escompté, propre au genre. 

     

    En se jouant ainsi des codes qu'il connaît parfaitement, Pierre-François Moreau nous livre donc un récit échevelé qui se révèle bien plus maîtrisé qu'il n'y paraît aux premiers abords, pour faire de White Spirit un roman noir Outchine cool.

     

    Pierre-François Moreau : White Spirit. La Manufacture de livres 2019.

    A lire en écoutant : 7 Seconds de Youssou N'Dour (ft. Neneh Cherry). Album : The Guide (Wommat). Colombia Records 1994.

  • Franck Bouysse : Né D’aucune Femme. La raison d’être.

    Capture d’écran 2019-01-28 à 22.57.59.pngService de presse.

    Sur une déclinaison des quatre saisons, Franck Bouysse entamait un cycle avec Grossir Le Ciel (La Manufacture de livres 2014) où l’on découvrait deux vieux paysans reclus dans un hameau isolé par les rigueurs de l’hiver, tandis que Plateau (La Manufacture de livres 2016) prenait pour cadre une vallée perdue baignant dans une atmosphère automnale alors que Glaise (La Manufacture de livres 2017) se déroulait dans un contexte estival imprégné des tourments de la première guerre mondiale résonnant dans le lointain. Pour achever ce cycle des quatre saisons, il fallait donc un roman aux accents printaniers afin que l’auteur puisse donner la pleine mesure de ses talents de conteur pour incarner cette période de renouveau où la maternité et la naissance prennent la forme d’une intrigue romanesque aux consonances tragiques. Parce qu’il y a toujours la promesse d’un texte richement travaillé au service d’une intrigue forte, les romans de Franck Bouysse sont désormais précédés d’une réputation parfois outrancière comme c’est le cas avec Né D’aucune Femme présenté comme le roman de l’année alors que celle-ci est à peine entamée. Mais s’il est question d’outrance, il faut bien admettre que l’ouvrage suscite une indiscutable émotion en découvrant sous une forme narrative, nouvel exercice pour l’auteur, le terrible destin d’une jeune femme subissant les avanies d’un entourage cruel.

     

    Au crépuscule de sa vie, Gabriel, un curé de campagne tourmenté, se remémore ces cahiers découverts dans les replis de la robe d’une défunte qu’il devait inhumer. Il se souvient de la parole de Rose, couchée sur le papier. Une destinée tragique débutant sur les marchés où l’on peut vendre bêtes et autres victuailles, mais où il arrive parfois que l’on y cède sa propre fille afin de s’extirper de la misère, comme l’a fait Onésime en marchandant, son aînée qui se retrouve aux prises avec le maître du Domaine des Forges. Ainsi livrée à la cruauté d’un homme odieux, Rose devient l’enjeu d’un leurre abject destiné à couvrir l’abominable convoitise d’une famille sans scrupule. Une succession de drames innommables où le courage d’une fille perdue résonne dans le vide en se répercutant contre la muraille de silence et de résignation érigée par un entourage écrasé par la lâcheté et la soumission que leur impose leur condition.

     

    Un curé de campagne troublé, une jeune fille subissant les pires outrages, on retrouve avec Né D’aucune Femme quelques personnages qui ont hanté l’œuvre de Bernanos auquel on a prêté une certaine influence imprégnant les romans de Franck Bouysse et plus particulièrement ce dernier opus se déroulant durant une période imprécise que l’on situera au terme du 19èmesiècle ou à l’orée du 20èmesiècle. Ainsi les réminiscences du curé d’Ambricourt ou de Mouchette planent donc sur ce roman au souffle romanesque se conjuguant à la noirceur d’une intrigue qui bascule vers une atmosphère gothique imprégnant l’ensemble d’un texte terrible et poignant qui ne manquera pas de bouleverser le lecteur. Comme une pièce centrale, le roman s’articule autour du journal de Rose se déclinant sous une forme narrative en nous immergeant dans le sillage de son calvaire. Avec une langue à la fois spontanée et sincère mettant en exergue les infamies dont elle est victime, on ne peut rester insensible au texte de cette jeune fille dont on perçoit toute la force et le courage. Complétant la perception tronquée de Rose, on découvre les points de vue de son père Onésime, de « Elle » désignant sa mère, du régisseur du Domaine des Forges prénommé Edmond et bien évidemment du curé Gabriel qui introduit et conclut ce récit ample, aux entournures parfois extrêmement convenues mais recelant tout de même quelques rebondissements surprenants. Dans cette série de portraits, c’est bien évidemment la bravoure de ces femmes meurtries que l’auteur met en évidence au regard de la veulerie des hommes qui les entoure. Tout au long de cet obscur conte gothique où le méchant seigneur règne sur un sombre domaine isolé et où la raison d’une jeune fille vacille à l’ombre des murs d’un monastère converti en hôpital psychiatrique, il est donc essentiellement question de conditions sociales, celles régissant les rapports entre hommes et femmes mais également celles qui asservissent l’individu en fonction de sa condition.

     

    Et puis, comme à l’accoutumée avec les textes de Franck Bouysse, il y a ce rendez-vous avec une langue riche et généreuse qui habille les décors et enrobe les personnages d’une subtile et délicate dentelle composée de mots et de phrases magnifiant un texte équilibré emprunt d’une force émotionnelle peu commune. Ainsi Né D’aucune Femme marque l’achèvement d’un cycle des saisons avec un récit intimiste obéissant aux sombres mécanismes d’une tragédie intemporelle véhiculant un déferlement de sensations et de sentiments qui ne manqueront pas de saisir le lecteur jusqu’au bouleversement final.

     

    Franck Bouysse : Né D’aucune Femme. Editions La Manufacture de livres 2019.

    A lire en écoutant : La Cathédrale Engloutie de Ravel. Album : Arthur Rubinstein At Carnegie Hall. 2012 Marathon Media International Ltd.

     

     

  • François Médéline : Tuer Jupiter. Mort d’une Icône.

    Capture d’écran 2018-09-30 à 22.49.48.pngDestinés à attiser la curiosité du lecteur, les bandeaux ornant les livres de la rentrée littéraire sont désormais légions et peuvent également faire office d’avertissement comme c’est la cas pour Tuer Jupiter, le nouveau roman de François Médéline mettant en scène la mort du président Macron, victime d’un obscur complot impliquant les grands dirigeants de l’ordre mondial. Un drôle de nouveau monde. La fiction politique de la rentrée, le message est clair tout comme cet avant-propos de l’éditeur réitérant le fait qu’il s’agit avant tout d’une création littéraire et non d’un pamphlet ou autre critique politique s’inscrivant dans les récents scandales émaillant cette nouvelle présidence. C’est d’ailleurs mal connaître l’auteur que de le taxer d’opportuniste comme j’ai pu le voir dans quelques retours de lecture où l’on s’étonnait également de la brièveté d’un récit ne faisant que survoler le sujet. Il faut dire que ces quelques détracteurs s’attendaient, avec une fiction politique, à un texte conséquent à l’image des deux romans précédents de l’auteur, La Politique Du Tumulte (La Manufacture de Livres 2012) et Les Rêves De Guerre (La Manufacture de Livres 2014). Mais c’est à nouveau mal connaître François Médéline que de s’attendre à ce qu’il se plie aux exigences des codes pour satisfaire son lectorat  en préférant nous livrer un texte à la fois vif et aérien offrant, au gré d’un périple à rebours du temps, quelques épisodes originaux et parfois audacieux de l’assassinat annoncé d’une figure politique élevée au rang d’icône.

     

    #RIPEM. Les hashtags rendant hommage au président Emmanuel Macron fleurissent sur la toile du réseau social. C’est donc le dimanche 2 décembre 2018 que l’on assiste à l’ensevelissement du jeune président de la République lâchement empoisonné  dans ce qui apparaît comme un attentat revendiqué par Daesch. Cérémonie au Panthéon conduite par Brigitte Macron, discours vibrant de Gérard Collomb, les hommages sont à la fois dignes et poignants. Mais à la remontée du temps on découvre les arcanes d’un complot où barbouzes et autres groupuscules inquiétants façonnent l’identité de cet Olivier Barnerie, alias Abdelkader Al-Faransi, un ancien néonazi devenu salafiste convaincu. Etrange parcours. Mais entre manipulations et compromissions, les dirigeants des grandes nations sont prêts à tout pour dissimuler leurs obscurs desseins, quitte à sacrifier Jupiter sur l’autel de son nouveau monde.

     

    Tuer Jupiter, il y a bien évidemment, dans ce titre, comme un goût de folie et de provocation, qui correspond d’ailleurs bien à l’état d’esprit de son auteur qui nous entraîne, au gré d’une narration à rebours endiablée, aux origines d’un complot sinistre mettant en scène les turpitudes des grands hommes de pouvoir à l’image de Trump ou de Poutine, mais également de ceux qui font partie de l’entourage du président Macron. En connaisseur avisé du monde politique pour lequel il a travaillé, François Médéline restitue, avec une insolente aisance, toute la mécanique, parfois retorse, des arcanes d’un pouvoir suprême autour duquel gravite une kyrielle d’individus prêt à en découdre pour en obtenir quelques miettes. Dans une espèce de mécanique de la désacralisation, le lecteur va assister à la panthéonisation du chef d’état défunt puis à l’embaumement du corps d’Emmanuel Macron pour finir avec quelques instants d’intimité entre Bibi et Manu qui font écho à ceux de la famille Trump ou de l’entourage de Poutine. Des échanges qui pourraient prêter à sourire, s’il n’y avait pas ce sentiment d’assister à une grande kermesse mondiale dirigée par quelques personnages aux comportements parfois complètement infantiles avec ce sentiment que l’on se joue de tout et particulièrement de la vie des autres qui n’a plus du tout la même valeur dans ces hautes sphères du pouvoir.

     

    Outre la folie et l’outrance, François Médéline prend soin d’instaurer tout au long de l’intrigue un sentiment de confusion dans le réalisme de sa fiction qui se traduit dès les premières pages avec cette série de tweets émanant de vrais ou de faux profils de personnalités commentant la mort du président français. Ainsi l’on serait prêt à rire du commentaire de Brigitte Macron lorsque l’on s’aperçoit que l’on a été tout simplement dupé par l’auteur qui met ainsi en exergue notre propre crédulité. Car avec Tuer Jupiter il est également question de manipulations médiatiques avec cette sarabande de manchettes de journaux, de commentaires Facebook, de blogs et autres moyens de communication qui mettent en lumière cet univers 2.0 dans lequel tout le monde peut s’immiscer pour mieux se perdre dans le chaos de cette hyper communication excessive.

     

    Pouvoir et communication avec pour corollaire cette manipulation de tous les instants, on retrouve, au fil d’un texte aux accents « ellroyiens », toute la mécanique précise de la préparation d’un attentat avec quelques scènes saisissantes comme cette agression dantesque à Aubervilliers qui devient le point central du roman où tout bascule entre le projet et la mise en place du complot en faisant implicitement référence au fameux braquage de Underworld USA.Et puis, comme une espèce de mise en abîme, il y a cette scène étrange se déroulant sur un catamaran où le manipulateur instaure un climat de confiance et de dépendance avec sa victime tandis que François Médéline achève son roman sur voilier au large de l’Atlantique. Paradoxalement, c’est dans l’isolement d’un navire voguant au milieu de l’océan, bien loin de toute cette hyper connectivité que l’on fustige, que le vieux barbouze peut mettre en place des liens forts avec celui qui deviendra l’auteur de l’attentat.

     

    Mise en exergue des egos démesurés de dirigeants infantiles,Tuer Jupiter devient effectivement la rare, voire la seule fiction politique de cette rentrée littéraire où l’audace et la pertinence d’une intrigue fulgurante remplit pleinement toutes ses promesses en livrant aux lecteurs une vision à la fois piquante et intelligente des arcanes du pouvoir.

     

    François Médéline : Tuer Jupiter. La Manufacture de livres 2018.

    A lire en écoutant : Aux Armes Et Caetera de Serge Gainsbourg. Album : Aux Armes Et Caetera. Universal 1979.